Pour plusieurs foodies, partager sur Instagram un bon repas dans son resto préféré ne suffit plus. Certains cherchent désormais à transformer le souper du samedi soir en un événement insolite, un voyage sensoriel, quitte à traquer des restos pop-up sur Facebook ou à sauter dans un avion afin d'assister à un happening d'un jour dans les Alpes suisses. Le nouveau mot d'ordre? «J'y étais!» Bienvenue à l'ère de la «gastronomie expérientielle».
La gastronomie expérientielle, ou «experiential dining», offre une valeur ajoutée, voire une réalité augmentée, aux commensaux. Elle peut se faire thématique, vouloir créer l'événement, jouer le multisensoriel ou se transformer en rituel initiatique. Elle peut être l'apanage d'un grand chef qui a besoin de s'éclater ou d'une marque qui lance un produit en grande pompe. Bref, il existe désormais plein de façons de sortir la gastronomie du cadre rigide du restaurant nappe blanche, portée par une génération de jeunes chefs bardés de tatouages, de marketeurs qui carburent aux médias sociaux et de chercheurs en perception sensorielle évadés de leurs laboratoires. Tout cela pour notre bon plaisir, aussi évanescent soit-il (et il l'est, de par sa nature). On serait fous de le bouder.
Cérémonie initiatique
Bien que l'engouement respire la nouveauté, la gastronomie expérientielle existe depuis toujours, partout où l'aliment s'inscrit dans un cérémonial et où le participant devient un initié. De la cérémonie du thé japonais au lu'au hawaïen ou à la cabane à sucre québécoise, des manières de faire ont traversé les âges et dépassé la simple tradition pour devenir un rite empreint de sens, dans toutes les définitions du mot. Prenons pour exemple la cérémonie du vin, qui solennise le moment d'élévation procuré par la dégustation de grands crus, rituel qui s'entoure de nombreux gestes parfois techniques ou symboliques, souvent vieux de plusieurs siècles. Montréal connaîtra d'ailleurs sa première Cérémonie du vin devant public, au Centre Phi, les 24 et 25 octobre prochains. Présentée par Thierry Forbois, elle permettra de savourer l'un des grands crus du collectionneur français Michel-Jack Chasseuil, qui possède la plus grande cave à vins du monde, rien de moins.
Quand la cuisine fait pop
Si la gastronomie a toujours eu le chic de faire l'événement, au cours des dernières années, la tendance s'est emballée. Il y a d'abord eu la cuisine moléculaire, inéluctablement associée à Ferran Adrià du défunt restaurant El Bulli, en Espagne, qui à l'apéro servait des olives faites d'huile gélifiée, accompagnées d'un atomiseur de gin et vermouth à pomper dans la bouche pour «reconstruire» son martini. Un repas au El Bulli exigeait de réserver des années à l'avance, comprenait 35 services et excluait le billet d'avion et l'hôtel, bien sûr. En matière de gastronomie à la fois événementielle et sensorielle, la barre était haute.
Ont suivi les pop-up, ces restaurants d'un soir qui voient un grand chef ou une brigade de cuisine über branchée s'installer dans un local aussi improvisé que le menu. Pour le foodie, c'est souvent la chance de socialiser avec des toques autrement cantonnées dans les cuisines de leur établissement. Pour le chef, c'est l'occasion d'expérimenter en toute liberté sans perdre une précieuse étoile Michelin. Bref, tous y gagnent... à condition bien sûr que le dévoué foodie puisse réserver sa place dès la nouvelle ébruitée, sur Facebook, EventBrite, un microsite dédié ou, encore plus sélectif, le simple bouche-à-oreille.
Papilles en mode festival du smoked meat à la poutine, Montréal est reconnue pour ses festivals à toutes les sauces de Burger Week à Mac + Cheese Week, Tartare Fest, Fête du Croissant, Invasion Cocktail, Lobster Clam Jam, etc. Avec Istanbul et Moscou, la métropole peut se targuer d'être l'une des rares villes à avoir accueilli le festival de nouvelle cuisine Omnivore World Tour, de passage en 2017. Bouffons Montréal, qui en est à sa quatrième édition, se targue d'être le plus grand village gourmand à ciel ouvert en Amérique du Nord avec un demi-million de spectateurs affamés. Le festival YUL Eat, présenté chaque septembre, célèbre aussi les talents d'ici auprès de festivaliers en mal de découvertes. L'année 2018 marquera la première participation du Centre Phi, avec les ateliers Essence culinaire qui proposent de faire découvrir sous un autre jour les aliments de base de tous les jours. Enfin, le festival Montréal en lumière fait l'événement en conjuguant spectacles et gastronomie en plein cœur de l'hiver.
Entre ciel, terre et érablière
Au chapitre de la gastronomie événementielle, l'un des happenings les plus courus demeure la cabane à sucre Au pied de cochon de Mirabel, qui accepte les réservations en ligne deux jours par an, pour la saison des pommes et des sucres respectivement. Mieux vaut posséder l'Internet haute vitesse puisque la fenêtre est étroite, les centaines de réservations trouvant preneur en moins de cinq minutes, dès que s'affiche le formulaire en ligne à 10h du matin.